Petits mensonges épidémiologiques (3)

Publié le 30 Mars 2013

Les petits mensonges épidémiologiques, troisième volet.

3) "Aujourd'hui, à cause de la vaccination, il y a plus d'adultes et de bébés touchés par la maladie qu'avant la vaccination, et comme la maladie est plus dangereuse à ces âges, alors vacciner est dangereux"

Le déplacement en âge de la maladie consécutivement à un programme de vaccination de masse est un phénomène connu, explicable et donc anticipé, mais n'est pas une raison suffisante pour craindre de vacciner. Explications :

  • Dans une population où on ne vaccine pas, la rougeole va toucher en moyenne chaque année un nombre de personnes équivalent au nombre de naissances annuelles. C'est un équilibre qui s'instaure au cours du temps entre la forte contagiosité de la maladie qui fait que tout le monde ou presque la contractera à un moment donné de sa vie et l'apport continu de personnes non immunisées via les naissances. Les cas vont se répartir d'une certaine façon entre les différentes tranches d'âge, en fonction de la probabilité de rencontrer le virus à un âge donné.
  • Etant donné que la rougeole est très contagieuse (une personne infectée peut contaminer entre 15 et 20 autres personnes si on la place dans une population non immunisée), la probabilité de rencontrer le virus au cours des premières années de vie est élevée, et ce d'autant plus que les enfants sont souvent en groupes (école, camp de vacances, ...). Une fois contractée dans l'enfance, la personne devient immunisée et il est très improbable de refaire une seconde rougeole. Les femmes adultes sont alors presque toutes immunisées, et transmettent des anticorps à leur bébé via le placenta au cours de la grossesse. Ces anticorps protègent le bébé pendant quelques mois, mais ne rendent pas le bébé immunisé à vie. Il devra pour cela contracter la rougeole un peu plus tard. Au final, la majeure partie des cas seront observés entre 5 et 9 ans.
  • Si à un moment donné, on commence à vacciner routinièrement une grande partie des bébés âgés de 1 à 2 ans, la virus va moins facilement circuler dans la population puisque qu'une partie des enfants ne seront jamais malades et contagieux. Par conséquent, la probabilité pour un enfant non immunisé de rencontrer le virus est plus faible, et la rencontre se fera en moyenne plus tard. L'âge médian de la maladie se déplace plus ou moins vers les adolescents ou les jeunes d'adultes, selon le niveau de couverture vaccinale. De plus, les femmes qui ont été vaccinées transmettront moins d'anticorps à leur bébé, ceux-ci seront donc moins protégés et plus susceptibles de faire la rougeole plus tôt qu'avant. La rougeole étant très contagieuse, ce déplacement en âge n'est vraiment significatif que pour un niveau de couverture vaccinale élevé, mais suboptimal (c'est-à-dire un peu en dessous du seuil d'immunité de groupe).
  • Les complications sont effectivement à peu près deux fois plus fréquentes chez les bébés et les jeunes adultes qui font la rougeole, que chez les enfants. Alors pourquoi ce n'est pas une raison de craindre la vaccination? Parce qu'au final le risque indivuel de complications est quand même moins important dans une population vaccinée en dessous du seuil d'immunité de groupe qu'en cas de non-vaccination généralisée. Démonstration:

-Soit N le nombre de personnes qui contractent la rougeole sur une année, divisé par le nombre de personnes qui contracteraient la rougeole en l'abscence de vaccination. Dans le cas sans vaccination, il s'agit donc évidemment de N=1. Dans le cas de la vaccination suboptimale, il peut s'agir par exemple de N=0.01 (un vaccination suboptimale peut réduire la nombre de cas de 99 %).

-Soit b, e et a, les proportions de bébés, enfants et adolescents/adultes parmis les cas de rougeole. Dans une situation sans vaccination, des valeurs réalistes typiques peuvent être de l'ordre de b=a=0.05 et e=0.95, tandis que dans une situation de vaccination suboptimale, on pourrait avoir b=0.15, e=0.35 et a=0.50.

-Soit cb, ce et ca, les proportions de cas avec complications parmis les cas rencontrés dans les différentes tranches d'âge. Mettons que cb=ca=0.08 et que ce=0.04.

-Donc le nombre total de cas de rougeole avec complications, divisé par la taille d'une cohorte de naissance, sera donné par Tc=N*(b cb+ a ca+ e ce).

(b cb+ a ca+ e ce) peut être défini comme étant un taux de complication pondéré.

Sans vaccination:

Tc=1*(0.05 0.08+ 0.95 0.04+ 0.05 0.08)=0.046

Vaccination suboptimale:

Tc=0.01*(0.15 0.08+ 0.35 0.04+ 0.40 0.08)=0.01*0.058=0.00058.

- Pour la France, la taille d'une cohorte de naissance est d'envrion 800000 personnes. Si on multiplie Tc par cette taille on passe d'environ 37000 cas avec complications à environ 500 quand on passe de la situation sans vaccination à celle de la vaccination suboptimale, même en tenant compte du déplacement en âge. On peut évidemment faire varier les valeurs des paramètres pour essayer de se rapprocher d'une situation plus ou moins réaliste. Voir par exemple, une application pratique de ce genre de calcul à l'Angleterre et Pays de Galle.

-Le déplacement en âge n'est donc pas une raison pour craindre de vacciner. Au contraire, au plus on s'approche de la vaccination optimale, au plus le nombre de cas avec complications va diminuer, pour devenir nul lorsque l'immunité de groupe est atteinte (puisqu'alors N=0).

  • Les gens opposés à la vaccination oublient deux choses:

- que si le taux de taux de complications chez les enfants (ce) est moins élevé que chez les bébés et les adultes, il n'en est pas nul pour autant. Dans l'exemple ci dessus, le taux de complication pondéré ne passe que de 0.046 à 0.058 à cause du déplacement en âge.

-l'effet principal de la vaccination qui est de réduire considérablement le nombre de cas (Dans notre exemple, N=0.01, c'est vraiment moins que 1), ce qui mathématiquement, réduit de facto le nombre de cas avec complication.

La suite au prochain épisode.

Rédigé par Julie

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