Petits mensonges épidémiologiques (4)

Publié le 1 Avril 2013

Les petits mensonges épidémiologiques, quatrième épisode.
4) "Il était une fois, dans une un village perdu d'une contrée lointaine (ou pas), un collège/camp de vacances/établissement où la couverture vaccinale était élevée, et où un grand nombre de cas de rougeole sont quand même survenus. Même qu'en plus, la majorité de ces cas étaient chez les vaccinés"

J'ai expliqué précédemment la dynamique des outbreaks/flambées épidémiques qui se produisent dans des populations bien vaccinées, mais en dessous du seuil d'immunité de groupe. Ces flambées assez importantes (quelques dizaines de milliers de cas) se produisent plutôt à grande échelle (une région, un pays).

Des flambées plus petites (quelques dizaines à quelques centaines de cas) peuvent également se produire à plus petite échelle (un village, une école, un camp de vacances...) dans des populations qui ont atteint le seuil d'immunité de groupe et dans lesquelles un cas est importé de l'extérieur. Ces petites flambées se produisent avant que l'immunité de groupe ne casse la chaine de transmission du virus.

Lors de telles flambées, il n'est pas rare de constater qu'il y a plus de vaccinés parmis les cas que de non-vaccinés. On pourrait en conclure à tort que le vaccin n'est pas très efficace. Conclusion eronnée qui n'apparaitrait pas de suite comme telle, puisqu'on sait en plus que le vaccin n'est pas 100% efficace (comme pour tout médicament, on ne peut en espérer autant).

  • Voici une contre-démonstration sommaire:


-Soit une population quelconque de P personnes (une école, un village...)
-Soit V, la partie de la population vaccinée (contre une maladie contagieuse à réservoir humain).
-Soit NV, la partie de la population non vaccinée.
-Donc V+NV=P.
-Supposons qu'à un moment donné, une personne extérieure contaminante entre en contact avec la population P et entraine la contamination de toute les personnes non immunisées.

Combien de vaccinés et de non vaccinés seront contaminés?

-Tout d'abord, mettons que la vaccination soit immunisante pour 95% des gens (ca ou autre chose, peu importe...).
Donc le nombre de vaccinés immunisés Vi=95 V/100
et le nombre de vaccinés non immunisés Vni= 5 V/100
(de sorte que Vi+Vni=V)

-Mettons que parmi les non-vaccinés, 25 % aient déjà fait la rougeole par le passé (ca ou autre chose, peu importe...).
Le nombre de non-vaccinés immunisés NVi= 25 NV/100
et le nombre de non-vaccinés non immunisés NVni= 75 NV /100
(de sorte que NVi+NVni=NV).

Il y aura donc Vni vaccinés contaminés et NVni non-vaccinés contaminés à cause de la personne contact.

-Soit la couverture vaccinale C=V/P (C est donc compris entre 0 et 1). On aura alors que
V=CP et NV=(1-C)P, et donc:
Vni= 5 CP/100
NVni= 75 (1-C)P /100

Ces deux quantités (Vni et NVni) sont donc ramenées à des expressions qui ne dépendent plus que la taille de la population et de la couverture vaccinale. Mettons que la population P soit de 10 000 personnes (ca ou autre chose...), pour ne rester qu'avec un seul paramètre variable (C).

Vni=500 C
NVni=7500 (1-C)

En tableau, les résultats en fonction de C:

p

C
(couverture vaccinale, entre 0 et 1)
Vni
(nombre de vaccinés non immunisés)
NVni
(nombre de non vaccinés non immunisés)
Vni+NVni
(nombre total de personnes non immunisées)
0 0 7500 7500
0.25 125 5625 5750
0.50 250 3750 4000
0.75 375 1875 2250
0.80 400 1500 1900
0.90 450 750 1200
0.95 475 375 850
0.99 495 75 570
1 500 0 500

-Vni croit avec C. Cela peut semble contre-intuitif, mais c'est normal puisque V augmente avec C.
-NVni décroit avec C, puisque NV diminue avec C.
-Pour C à partir de 0.95, Vni devient même plus grand que NVni. Les antivaccins vous diraient ici qu'une couverture vaccinale élevée ne protège pas contre la maladie, puisqu'il y plus de vaccinés malades que non-vaccinés. Or ils ne devraient pas comparer 475 avec 375. De façon générale, ce qui compte pour savoir si une politique vaccinale est efficace, c'est bien le nombre de cas total (Vni+NVni) et celui-ci diminue avec C. La population est donc bien protégée par le vaccin.

Evidemment, pour plus de réalisme, il ne faudrait pas considérer que toutes les personnes non immunisées soient infectées. C'est excessif puisque la transmission de la maladie d'une personne non immunisée à une autre est d'autant plus difficile que C est grand (les non-immunisés seront en moyenne peu en contact les uns avec les autres, c'est l'immunité de groupe qui protège les non-immunisés...). Mais ca ne changerait pas l'idée générale.

D'ailleurs, l'immunité de groupe ne signifie pas qu'il y aura forcément 0 cas après contact avec un individu contaminé, elle signie que la chaine de transmission du virus va s'essouffler après contact (au lieu de se propager à tout le pays et de perdurer dans le temps...). Un outbreak n'est pas le signe que l'imunité de groupe n'existe pas, au contraire.

En conclusion:

Le fait d'observer lors d'une flambée épidémique (outbreak) que le nombre de cas chez les vaccinés est plus grand que le nombre de cas chez les non vaccinés n'est pas le signe d'un échec de la politique vaccinale. C'est simplement le signe que la majorité des gens sont vaccinés, et que le vaccin n'immunise pas dans de rares cas. Il n'y a rien de plus à en conclure, sauf peut-être qu'il faudrait veiller à augmenter la couverture vaccinale (C) pour diminuer le nombre total de personnes non immunisées (Vni+NVni).

La suite au prochain épisode

Petits mensonges épidémiologiques (4)

Rédigé par Julie

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