De la difficulté de s'opposer aux recommandations sans être un antivax...

Publié le 29 Juin 2017

... ou la dure vie du lanceur d'alerte !

http://invs.santepubliquefrance.fr/Dossiers-thematiques/Maladies-infectieuses/Maladies-a-prevention-vaccinale/Rougeole/Points-d-actualites/Archives/Epidemie-de-rougeole-en-France.-Actualisation-des-donnees-de-surveillance-au-22-mai-2017

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En France, la critique des recommandations officielles en matière de vaccination semble être un passe-temps comme un autre.  Prenons l'exemple de la recommandation qui vise à administrer deux doses de vaccin contre la rougeole à tous les enfants avant deux ans (via le ROR, vaccin contre la rougeole, les oreillons et la rubéole).   

 

  • Les antivax savent mieux. Ils savent que les officiels complotent avec Big Pharma pour empêcher les enfants de se faire une immunité naturelle (peut-être au péril de leur vie, mais la nature est tellement belle et bien intentionnée).
  • Mr et Mme tout le monde savent parfois mieux. Ils savent que les officiels s'inquiètent trop pour pas grand-chose, la rougeole est bénigne après tout (sauf quand elle entraîne des complications, des séquelles, ou des décès, mais le biais de confirmation de ceux qui n'en ont pas gardé un mauvais souvenir est plus fort que les statistiques).
  • Enfin, reste le cas de ceux qui se rêvent lanceurs d'alertes et qui savent toujours mieux. Ils savent que de petits détails subtils qui changent tout échappent aux officiels qui sont un peu be-bêtes. N'allez pas leur dire qu'ils sont d'accord avec les antivax ou qu'ils sont eux-mêmes antivax, c'est une insulte à leur intelligence. Parfois, il ne faut même pas leur dire qu'ils jouent au lanceur d'alertes, ils ne font juste qu'essayer d'informer le public voyons !

 

Pour cette dernière catégorie, prenons par exemple le texte de Claudina Michal-Teitelbaum (CMT pour les habitués) intitulé « EST-IL SOUHAITABLE D’ELIMINER LA ROUGEOLE EN FRANCE ? ». CMT est médecin généraliste et critique souvent la politique de vaccination française, en particulier sur le blog du Dr Jean-Claude Grange (docteurdu16 pour les habitués) qui héberge ses textes.        

                                                           

Ce texte de CMT sur la rougeole sert de référence à d'autres lanceurs d'alerte (prétendant ainsi faire partie du club de ceux qui comprennent les trucs subtils). Il sert aussi aux « vrais » antivax, parfois obligés de relayer les arguments des lanceurs d'alertes (qui les dénigrent pourtant publiquement) à défaut d'arriver à produire leurs propres arguments construits. Et c'est là que se situe le piège, que ce soit pour les antivax ou pour les autres. L'analyse semble bien construite et peut impressionner celles et ceux qui n'ont pas les connaissances générales et/ou le temps et/ou la motivation pour déceler les failles. Je propose donc ici un analyse de différents points de ce texte, en suivant à peu près sa structure en 3 parties, précédée d'une brève introduction. Le texte étant assez long, j'ai décidé de tronquer certaines parties par souci de lisibilité. N'hésitez pas à vous référer à l'original si vous préférez la version intégrale.

De la difficulté de s'opposer aux recommandations sans être un antivax...
De la difficulté de s'opposer aux recommandations sans être un antivax...

Suite au décès d'un enfant de 6 ans, l'auteur du blog « dur à avaler », souvent critique sur la vaccination,  recommande la lecture du texte de CMT, au lieu d'inviter ses lecteurs à vérifier leur statut vaccinal. Sophie Guillot, antivax notoire (dont nous avons déjà parlé ici), fait sienne la question posée par CMT mais ne nous dit pas si elle partage l'avis de CMT concernant les mouvements antivax qui occupent les esprits avec de mauvaises questions...

 

INTRODUCTION

Selon CMT, les officiels, avec leurs recommandations, ne laissent pas le temps de poser les bonnes questions, tandis que les antivax posent de mauvaises questions :

 

"Non seulement aucune question pertinente n’a été posée quant à la vaccination contre la rougeole […].  Et  les mouvements anti-vaccinalistes contribuent au consensus en occupant les esprits avec de mauvaises questions [...]"

 

Le texte date de mai 2012. A cette date, la France sortait du pic d'une épidémie qui avait débuté en 2008 et ayant causé dix décès entre 2009 et 2011. La communication officielle concernant la vaccination contre la rougeole était donc on ne peut plus claire : 2 doses pour toutes les personnes nées après 1980 et sans historique de la maladie, en vue d'enfin suivre les recommandations et donc d'éliminer la maladie. CMT n'est (évidemment) pas d'accord avec cette recommandation:

 

"Or, la réalité n’est pas ainsi faite que face à des maladies contagieuses nous disposerions d’armes absolues qui nous permettraient, sans inconvénients ni questionnements, de passer d’une situation A problématique, présence d’une maladie « non bénigne » sur le territoire, à une situation B supposée idéale, élimination de la maladie » non bénigne » du territoire. Et cela par le seul truchement d’une réponse quantitative : l’augmentation de la couverture vaccinale."

 

Pourtant, plusieurs pays sont déjà parvenus à éliminer la rougeole, maladie pas si bénigne que ça, de leur territoire, par la réalisation d'une couverture vaccinale adéquate, après questionnements et remise en question sur la marche à suivre (introduction de la seconde dose par exemple). C'est un fait indéniable, à moins d'être un antivax (vous savez, ceux qui disent que l'incidence de la rougeole a diminué grâce à l'amélioration de l'hygiène, mais qui ne pourront pas vous expliquer pourquoi la varicelle touche malgré tout 800000 personnes par an en France…). Mais CMT est plus subtile que l'antivax primaire. Elle ne nie pas. Elle se contente simplement de ne pas en parler à ce moment de son texte. Pourtant dans la troisième partie, elle rappellera bien que

 

"Après que le PAHO (Agence Panaméricaine pour la Santé,  agence régionale de l’OMS pour le continent américain) eut officiellement annoncé avoir atteint sur le continent américain l’objectif d’élimination de la rougeole, en 2002"
" La Finlande est le premier pays à avoir documenté l’élimination de la rougeole sur son territoire en 1997"

 

Si nous suivons CMT, devons-nous conclure qu'elle ne croit pas à la réalité de ces éliminations ? Ou espère-t-elle que le lecteur ne décèle pas la contradiction? Car en effet, tout son argumentaire ne consistera pas seulement à vous expliquer pourquoi il ne serait pas souhaitable d'éliminer la rougeole (en réponse au titre de son texte), mais aussi à vous expliquer que ça ne serait pas possible, en dépit de la réalité du continent américain et de la Finlande.

 

PREMIERE PARTIE : LE VACCIN ET LA MALADIE

 

Eradication, vaccin vivant atténué et notice

 

CMT nous parle en premier lieu du vaccin, insistant sur le fait qu'il s'agit d'un vaccin vivant atténué, ce qui serait selon elle un obstacle en vue de l'élimination :

 

" Le virus de la rougeole n’a pas de réservoir autre que l’homme malade. Le virus pourrait donc être éradiqué en théorie s’il n’y avait plus de foyer infectieux humain sur la planète.  [...] Nous voyons donc, à ce stade, que le problème s’est posé en des termes très différents de celui qui nous est expliqué actuellement de manière plutôt simpliste. Il ne s’agit pas en réalité, de supprimer l’infection rougeoleuse mais de remplacer l’infection par les souches sauvages du virus de la rougeole par une infection par une souche vaccinale atténuée. Il s’agit donc de la recherche d’un compromis entre  le degré d’atténuation de la souche vaccinale, la quantité de virus  dans le vaccin d’une part,  et les capacités de défense de l’organisme ciblé par la vaccination d’autre part, afin de produire un vaccin qui provoque une infection suffisamment atténuée pour être moins dangereuse pour la plupart des individus que l’infection naturelle et non transmissible dans la majorité des cas, tout en permettant une réponse immunitaire durable."

 

Ce qu'elle décrit est pourtant, à un détail près, la réalité du principe de la vaccination contre la rougeole, qui n'est caché à personne et peut mener à l'éradication de la maladie. Au lieu d'attendre bêtement qu'un enfant contracte la maladie et contamine son entourage, on l'immunise par une infection atténuée qui ne le rend pas contagieux. Le risque théorique existe bien, mais n'a pas été mis en évidence en pratique, comme indiqué dans une des sources pourtant mentionnées par CMT un peu plus haut (« Measles vaccine produces an inapparent or mild, noncommunicable infection »). Pourquoi ce glissement de « non transmissible » à  « non transmissible dans la majorité des cas »? A quoi bon inquiéter les parents avec un risque inexistant ?

 

Viennent ensuite les « Contre-indications, précautions d’emploi » du vaccin. Évidemment, un vaccin est un médicament, pas un bonbon. Le fameux « lisez la notice des vaccins et ça va vous dégoûter » est bien une stratégie d'antivax primaire pourtant. J'attends toujours qu'un antivax ou un lanceur d'alerte encourageant les parents à laisser leur enfant contracter la rougeole leur fournissent la notice des contre-indications et précautions d'emploi concernant l'infection par une souche sauvage. Donc, oui chers parents, lisez la notice bien sûr, mais n'oubliez pas le contexte non plus.

 

A propos des recommandations

 

Vient ensuite l' « Efficacité du vaccin : importance de l’âge de la vaccination et du statut vaccinal de la mère ».  CMT nous rappelle que vacciner un bébé trop tôt contre la rougeole, ça ne sert à rien à cause des anticorps maternels et du fait qu'avant un certain âge, son système immunitaire ne peut pas réagir efficacement à ce vaccin atténué. C'est vrai, mais en quoi cela questionne-il  justement les recommandations qui tiennent compte de ces faits et qui sont d'administrer la première dose à 12 mois ? Recommandations rappelées par CMT par la suite :

 

"En France, les recommandations officielles telles qu’elles sont présentées dans le calendrier vaccinal 2012 (N° 14-15 du BEH d’avril 2012, p 170), sont de faire une première dose à 12 mois et une deuxième entre 13 et 24 mois. Il est recommandé d’administrer le vaccin trivalent  à 9 mois pour les nourrissons gardés en collectivité avec une deuxième dose entre 12 et 15 mois"

 

A ce stade le lecteur peut se demander pourquoi on a tenté de l’alerter (pardon, informer) auparavant sur l'âge optimal, à coups de phrases écrites en rouge, si finalement, tout est en ordre. Ou alors le lecteur qui avait commencé à s'inquiéter reste inquiet (biais psychologique), tout simplement. A quoi cela rime d'insister à ce point sur le vaccin et ses limitations avant même de mettre en garde contre la maladie ? D'ailleurs, quel est le sujet suivant abordé par CMT? Les effets indésirables du vaccin ! Bien sûr qu'ils existent. Mais en quoi cela questionne les recommandations au juste ? Comment le lecteur peut à ce moment mettre cela en rapport avec les risques de la rougeole ? Difficilement, car si CMT va enfin énoncer ces risques par la suite, elle va les  minimiser en dépit des faits !

 

Retour vers le passé

 

La suite concerne la situation épidémiologique avant l’introduction de la vaccination, en Grande Bretagne et en France. Sur ce blog, vous pourrez trouver deux fiches (ici et ) concernant ces pays. Concernant la Grande Bretagne, CMT se réfère à une publication de 1963 dédiée à l'observation des complications de la rougeole :

 

"Pour donner une idée claire de la gravité d’une épidémie de rougeole au début des années soixante en Grande Bretagne, je vais me référer à une enquête menée par les services publics anglais pour évaluer les complications de l’épidémie de rougeole survenue il y a un demi siècle pendant l’hiver 1963 en Angleterre et au Pays de Galles. Celle-ci est rapportée dans un article intitulé : « Fréquence des complications de la rougeole, 1963 » et publiée dans le British Medical Journal en 1964.  […]     
Le taux de létalité (nombre de décès par rapport aux malades dans une population donnée) était estimé à deux pour 10 000 cas de rougeole […] 12 enfants sont décédés, 6 pour des complications pulmonaires, 4 pour des complications neurologiques. 5  des enfants avaient des pathologies chroniques ou des handicaps graves  tels que tétraplégie, trisomie 21 avec malformation cardiaque, encéphalite chronique. Dans ce cas les auteurs considéraient que la rougeole était une cause fortuite de décès. Ainsi, cela correspond aux estimations d’environ 2 décès pour 10 000 cas dont la moitié préalablement fragilisés par le handicap ou la maladie. N’oublions pas que cette enquête a été menée il y a un demi siècle et que la mortalité infantile c'est-à-dire avant un an a, depuis lors, a été divisée par sept en France, tandis que la mortalité globale pour une population équivalente, a été divisée par deux."

 

Deux choses.

 

1) Je n'ai pas lu (ça pourrait bien sûr m'avoir échappé, donc vérifiez si vous le souhaitez) dans l'article que les auteurs considéraient certains décès comme « fortuits », c'est-à-dire arrivés par hasard, accidentellement (sous-entendu, peu importe les faibles ?). Ce que je trouve de plus proche est « One child with acute leukaemia died; measles was given as a contributory cause of death », mais cela n'a pas vraiment le même sens. Dans une population non vaccinée, presque chaque enfant, dont les fragilisés, est amené à contracter la rougeole à un moment ou un autre. C'est une fatalité et non quelque chose qui arrive par hasard. Heureusement, on peut l'éviter, grâce à la vaccination et à l'immunité de groupe. Les enfants fragiles et leur famille vous remercient !

 

2) CMT laisse penser que la létalité de la rougeole aurait diminué d'un facteur 2 à 7 depuis l'étude de 1963, puisque la mortalité globale et la mortalité infantile ont diminué au cours de cette période. C'est une erreur. La létalité de la rougeole n'a pas significativement diminué depuis les années 50. Elle est toujours comprise entre 1/10000 et 1/1000 cas dans les pays occidentaux. Les raisons de la diminution de la mortalité infantile et la mortalité globale sont donc à chercher ailleurs. Et, ironie, je suggérerais bien de chercher (en partie bien sûr) du côté de la vaccination contre la rougeole ! Sans vaccination, la rougeole ferait aujourd'hui entre 80 et 800 décès par an en France, soit une contribution de 0.1 à 1 /100000 à la mortalité annuelle globale (toutes causes confondues), qui est de de l'ordre de 850/100000 actuellement.

 

Pour la France, elle dit:

 

" Nous ne disposons pas de chiffres fiables car il semble bien que l’ordre intuitif des choses ait été inversé. En effet, on est en droit de supposer qu’on vaccine contre une maladie lorsqu’on a la notion claire, confirmée par un suivi épidémiologique spécifique, que celle-ci représente un réel problème de santé publique. Or, dans le cas de la rougeole il semble que ce soit  le fait d’avoir introduit la vaccination qui ait motivé le suivi épidémiologique des cas, car il n’y avait pas de suivi épidémiologique spécifique avant l’introduction de la vaccination à part une veille assurée par un réseau de laboratoires d’analyses, le réseau Rénaroug, travaillant avec des services de pédiatrie. La rougeole était néanmoins sujette à déclaration obligatoire depuis 1946. Mais les médecins se pliaient de moins en moins à cette obligation qui a été abrogée en 1986 pour être à nouveau mise à l’ordre du jour en 2005 lors de la campagne mondiale d’éradication. Le vaccin a été introduit dans le calendrier vaccinal français en 1983 [..]"

 

Effectivement, la France n'a pas été un bon élève en matière de surveillance de la rougeole. D'abord, la maladie est à déclaration obligatoire, mais les médecins ne déclarent pas. Alors on supprime la déclaration obligatoire. Ensuite, on revient à la déclaration obligatoire. Ahurissant ! Les médecins anglais, eux, remplissaient leur déclaration ! Mais les officiels de l'époque de l'introduction du vaccin contre la rougeole dans le calendrier n'étaient pas bêtes pour autant. Ils avaient la notion claire  que, hors vaccination, la rougeole touchait quasi tout le monde, surveillance efficace ou pas, quelque soit le pays. C'est un fait connu et confirmé par les analyses de sérologies. D'ailleurs, l'article de 1963 ciét par CMT auparavant explique que "measles is an unpleasant disease that imposes considerable discomfort on nearly every child at some time". Donc CMT avance que les recommandations françaises étaient basées sur du vent, alors qu'elle sait par ailleurs que ce ne pouvait être le cas.

 

Minimisation de la gravité de la maladie : Acte 1

 

CMT conclut la première partie de la façon suivante:

 

"La sévérité de la rougeole et sa létalité sont globalement faibles, de l’ordre de 1 pour 10 000 dans des pays semblables à la France, et dépendent donc avant tout du « terrain » du sujet infecté, c'est-à-dire de son état de santé et de la capacité à réagir de son système immunitaire. [..]
Dans les pays occidentaux la létalité varie donc avec l’âge."

 

Deux choses également :

 

1) La sévérité de la rougeole ce n'est pas que la létalité. Elle se manifeste aussi par des complications qui touchent 30 % des malades. La sévérité de la maladie est d'ailleurs le message clé de l'étude de 1963 qui avait pour objet de tordre le cou à cette idée reçue de son caractère bénin. Citons les auteurs, qui disent à propos des complications : « Such is the formidable toll exacted by a measles epidemic ». CMT a donc lu l'article mais en ignore les conclusions et minimise la gravité de la maladie.

 

2) Dire que la létalité dépend de certaines conditions et de l'âge est une évidence. Est-ce à dire, encore une fois, peu importe les faibles ? Par solidarité, non. Par égoïsme non plus, d'ailleurs, puisque le risque des personnes avec un « super terrain » n'est pas nul pour autant. Qu'on le veuille ou pas, tout âge et « terrains » confondus, la France serait affectée de 80 à 800 décès annuels, au lieu de zéro avec une vaccination convenablement réalisée. Est-ce acceptable pour un antivax, pour Mr et Mme tout le monde, pour un lanceur d'alerte ? Notez que cette estimation est une fourchette large qui résulte du fait qu'on ne connaît la létalité actuelle dans les pays occidentaux qu'à un facteur 10 près. On sait que sans vaccination, il y aurait 800000 cas par an en France. La létalité est de 1/10000 à 1/1000, d'où les 80 à 800 décès. Ne pas savoir si c'est 80 ou 800 ne change rien à la nécessité de vacciner, vu que la balance bénéfice-risque de la vaccination est favorable aussi si on considère une létalité minimale (1/10000).,

DEUXIEME PARTIE : LE ROLE DE L’OMS ET DES FONDATIONS PRIVEES

 

Pas de science dans cette seconde partie qui fait procès d'intention sur procès d'intention aux acteurs qui luttent contre la rougeole dans le monde. C'est sûr, ils pourraient aussi travailler pour l'accès à de l'eau sans risques sanitaires (ils le font), la malnutrition (ils le font) et les conditions de séquestration des nains de jardin (ils ne le font pas). Sans prétendre que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, on ne peut que constater qu'il est très facile de critiquer (de loin) ceux qui agissent sur le terrain.

 

Je passe sans plus attendre à la troisième partie du texte, qui revient à la question de la justification des recommandations officielles françaises.

TROISIEME PARTIE : PROBLEMATIQUE ET PERSPECTIVES

 

Minimisation de la gravité de la maladie : Acte 2

 

Selon CMT, la sévérité de l'épidémie française aurait été surestimée.

 

"Tandis que le pourcentage des personnes hospitalisées (3956 soit 22% du total des cas déclarés)  était présenté comme particulièrement représentatif de la supposée sévérité de la rougeole, en réalité seulement 30,8% de ces personnes avaient été hospitalisées pour des complications dues à la rougeole. Les autres avaient été hospitalisées pour leur jeune âge ou en raison de leur mauvais état de santé. [...] Cette hospitalisation de précaution peut expliquer en partie le taux important d’hospitalisation par rapport aux cas déclarés."

 

Il y a un épouvantail rhétorique. Elle fait dire aux autorités ce qu'elle ne disent pas, pour pouvoir les contredire facilement. Dans un des documents mentionnées par CMT et datant de 2009 (début du pic), le bilan de l'époque était de 112 hospitalisations (19 % des cas déclarés à cette date), dont 29 avec complications (c'est-à-dire 26 % des hospitalisations). Notez que les proportions sont assez fidèles à celles obtenues en 2012 (fin du pic, chiffres mentionnés dans la citation de CMT ci-dessus). Et bien, il est dit dans ce document que :

 

"De plus, la proportion de cas hospitalisés (19%) est élevée au regard de la fréquence des complications graves. Elle est plus élevée pour les adolescents et les adultes et est du même ordre que celle observée dans d’autres pays européens (http ://www.euvac.net). Elle n’est pas seulement le reflet de la sévérité des cas mais peut également s’expliquer par des pratiques d’hospitalisation différentes selon l’âge et par une sous-déclaration plus importante pour les cas vus par les médecins de ville."

 

Cet épouvantail est simplement destiné à vous faire oublier la sévérité de la maladie, qui est bien réelle. Une maladie qui entraîne des complications nécessitant une hospitalisation dans  22 x (30/100) %=7 % des cas déclarés tandis que 15 % des cas doivent l'être à titre de précaution, ce n'est pas rien. Par ailleurs, toutes les complications ne mènent pas à une hospitalisation non plus. Comme rappelé précédemment, la rougeole, c'est 30% de complications.

 

 

Echecs primaires VS échecs secondaires : Hors consensus

 

CMT présente la volonté d'élimination de la rougeole comme discutable.

 

" L’élimination de la rougeole constitue un objectif à la fois ambitieux et contraignant […]   il ne faut pas seulement une couverture vaccinale très élevée, mais qu’il faut aussi que le vaccin, dont les deux doses sont majoritairement administrées en France entre 9 et 24 mois, assure une protection contre la maladie à vie."

 

Forcément. Et il se trouve que le vaccin protège longtemps. Très longtemps. Assez longtemps pour que les pays qui ont atteint leur objectif de couverture vaccinale puisse arriver à l'élimination. Voici ce qui dit le CDC :

 

"Although the titer of vaccine-induced antibodies is lower than that following natural disease, both serologic and epidemiologic evidence indicate that vaccine-induced immunity appears to be long-term and probably lifelong in most persons. Most vaccinated persons who appear to lose antibody show an anamnestic immune response upon revaccination, indicating that they are probably still immune. Although revaccination can increase antibody titer in some persons, available data indicate that the increased titer may not be sustained. Some studies indicate that secondary vaccine failure (waning immunity) may occur after successful vaccination, but this appears to occur rarely and to play only a minor role in measles transmission and outbreaks."

 

Un échec vaccinal secondaire est la perte avec le temps de l'immunité acquise via la vaccination. Un échec vaccinal primaire est le fait de ne pas développer d'immunité après vaccination. Pour une seule dose de vaccination contre la rougeole, il y aura entre 2% et 5% d'échecs primaires. Combinés à une couverture vaccinale insuffisante, ces échecs primaires ont causé l'épidémie du début des années 90 aux USA, après une période de très faible incidence. L'introduction de la seconde dose, qui permet d’arriver à moins de 1 % d'échecs primaires, associée à une couverture vaccinale suffisante, a ensuite permis l'élimination. Les échecs secondaires sont possibles, mais rares, et jouent un rôle mineur dans les épidémies.

 

Mais CMT n'est pas d'accord. Pour elle, les épidémies sont dues à des échecs secondaires. Son argument ? La perte des anticorps chez les vaccinés. Pourtant, tout le monde est au courant de cette perte (cfr la citation ci-dessus), mais on sait par ailleurs que le taux d'anticorps n'est pas le seul marqueur de l'immunité contre la rougeole. La plupart des vaccinés qui ont perdu leurs anticorps ont toujours une mémoire immunitaire (l'immunité spécifique, ce n'est pas que les anticorps). CMT fait donc une sortie de route. Elle se positionne face au consensus, à coup de citations d'études qu'elle dit aller dans son sens. Ca sent le cherry picking. Pour l’exercice, vérifions comment CMT utilise la première étude qu'elle cite :  

 

Duree de l'immunite apres vaccination anti- rougeoleuse par un vaccin vivant: 15 ans d'observation dans la province de Zhejiang, Chine

 

Sur 333 enfants chinois vaccinés avec succès avec une dose (on a vérifié leur taux d'anticorps juste après) et ayant par la suite été en contact avec le virus sauvage, 4 enfants ont contracté un rougeole très légère, tandis que l'infection est restée inapparente chez 329 autres. Parmi ces derniers, 12 enfants n'avaient plus d'anticorps détectables depuis une dizaine d'années, et étaient pourtant toujours immunisés. L'immunité est donc de longue durée (au moins 15 ans, puisque l'étude a duré 15 ans), chez la majorité des vaccinés avec succès, même en l'absence d'anticorps détectables.  

 

L'étude ne suit donc que des enfants vaccinés avec succès et surveillés entre 1973 et 1988, une époque où on cherchait à connaître précisément la cause (échecs primaires ou secondaires?) des épidémies qui se produisaient dans les pays ayant introduit la vaccination dans les années 60. L'étude chinoise se concentrait sur l'hypothèse des échecs secondaires, sans prendre en compte les possibles échecs primaires. Les auteurs pensaient alors que, tant qu'à administrer une seconde dose en guise de rappel, autant prévoir un intervalle suffisamment long par rapport à la première. Bref, l'étude date d'une époque où il n'y avait pas encore consensus sur la question. Aujourd'hui, on sait qu'on ne peut négliger les enfants en échec vaccinal primaire, et qu'au contraire, il ne faut pas attendre longtemps pour la seconde dose (qui n'est pas un rappel alors, mais un rattrapage, une seconde chance). C'est ce qui a été mis en place, finalement, que ce soit aux USA (entre 4 et 6 ans, avant l'entrée en collectivité), en France (avant deux ans) et même en Chine (où la seconde dose est donnée à 18 mois!). La sujet de la durée de l'immunité est toujours ouvert (15 ans ? 30 ans ? à vie ?), mais il faut faire la part des choses.

 

Que fait CMT de cette étude ? Elle ne retient que la décroissance du taux d'anticorps, vu comme seul marqueur de l'immunité et tire ses propres conclusions ! Par exemple, elle avance que :

 

"le risque de contracter une infection et la sévérité de l’infection sont inversement proportionnels au titre d’anticorps. Ainsi sur 333 enfants ayant été exposés au virus sauvage pendant la durée de l’étude, en particulier en 1985, 78 d’entre eux, qui n’avaient pas d’anticorps détectables, ont présenté une infection attestée par une séroconversion. Parmi ces 78, 74 on présenté une infection cliniquement inapparente et 4 ont présenté une rougeole."

 

Alors que les auteurs sont bien plus nuancés :

 

"Because it is simple and specific and can be used to screen the antibody titres for large-scale field trials, the HI antibody test is widely used all over the wworld to detect immunity to measles. The test is, however, not very sensitive; it therefore does not imply that an individual whose HI antibody titre is undetectable (< 1: 2) is not immune. In the present study 333 children had been exposed to wild measles virus and became infected. Of these, 78 with an HI antibody titre < 1: 2 had close contact with measles cases, but only four subjects exhibited clinical infection; the remaining 74 children experienced subclinical infections, and no clinical symptoms were observed after careful medical examination. The results in Table 9 show that 4-8 years after immunization the HI antibody titres for the four clinical cases were < 1: 2, while 12 children had lost their HI antibody titre after 9-10 years but still had immunity to wild measles virus. "

 

Cette notion de proportionnalité du risque n'intervient pas chez les auteurs, car le test n'est tout simplement pas assez précis pour tirer ce genre de conclusion. De leur point de  vue, « seulement » 4 des enfants sans anticorps ont développés des symptômes. Il y a même des enfants sans anticorps depuis 10 ans qui sont immuns.

 

La recommandation de CMT ?

 

Du coup, pour CMT, à cause de la soi-disant perte d'immunité qui met les gens en danger, il faut une solution. Fort bien. Là où les auteurs chinois réfléchissaient raisonnablement à l'intervalle qui serait le plus approprié avant de procéder à un rappel via re-vaccination, CMT préfère les rappels naturels après une rougeole classique :

 

"L’idée qui se dessine, compte tenu de ces différentes études, est que la circulation naturelle du virus n’a pas que des inconvénients. Car contrairement à ce qui est soutenu dans les documents et discours officiels ni la rougeole, et encore moins le vaccin, ne procurent une protection définitive contre de futures infections. Des épidémies chez les enfants auraient l’intérêt de relancer l’immunité dans les autres groupes d’âge, en provoquant des infections légères ou inapparentes chez des adolescents ou adultes ayant déjà contracté la rougeole, et d’éviter ainsi que des cas sévères apparaissent chez des individus plus âgés."

 

Donc il faut d'abord attraper la rougeole pour ne pas attraper la rougeole. C'est une idée brillante, digne d'un antivax primaire. Sinon, vous avez déjà pensé à tomber enceinte pour éviter une nouvelle grossesse pendant les 9 mois suivants ? Non ? C'est pourtant une méthode de contraception naturelle 100 % garantie ! Et vous vous souvenez des pirates qui sabordent leur bateau avant de se faire attaquer par les Gaulois?

 

Et la suite est tout aussi  hallucinante :

 

"Le problème est également que la partie de la population que le vaccin laisse sans protection est la partie la plus à risque, à savoir, les jeunes nourrissons, les personnes immunodéprimées, mais aussi les adultes, chez qui les anticorps tendent à décliner et pour qui il n’y a pas de rappel possible. Et que, parmi ces adultes, il y a plus de personnes à risque de complication de la rougeole."

 

Quelle manque de logique. Si des rappels ne sont pas possibles pour la population à risque, donc si ils ne peuvent pas être immunisés, en quoi la circulation du virus les protégerait mieux que l'élimination via la vaccination du reste de la population ?

 

Epidémiologie 101

 

Comme on en est plus à un fait alternatif près, voici venir une déformation d'un concept basique d'épidémiologie. A propos de l'épidémie française:

 

"Un total de 146 cas étaient des cas importés. Ce qui montre qu’avoir un taux de couverture vaccinale élevée et interrompre la circulation virale ne serait pas suffisant, dans le pays le plus touristique au monde, pour garantir l’absence d’épidémies."

 

Et bien si, atteindre le seuil d’immunité de groupe protège efficacement contre les cas importés. Il faut se rendre compte que l'élimination, ce n'est pas une absence absolue de cas. C'est la certitude que si un cas est importé, l'épidémie qui va en résulter ne dépassera pas les quelques cas, au lieu de permettre une flambée de plusieurs dizaines de milliers de cas avec morts à la clé. Qu'un médecin généraliste qui prétend remettre en question les recommandations vaccinales ne comprenne pas une notion aussi simple est assez étrange.

 

Non, elle n'est pas comme les autres antivax !

 

CMT rappelle que les allégations de lien entre ROR et autisme sont le résultat d'une fraude scientifique. Ca ne répond pas à la question de départ (pas grand rapport avec l'élimination de la rougeole), mais c'est bien de le dire, et puis ça permet de se démarquer de ses antivax et de leurs mauvaises questions....

 

CMT, ne l'oublions pas, avait  une vraie bonne question à poser. Elle n'avait juste pas la bonne réponse.

 

 

Rédigé par Julie

Publié dans #Rougeole, #debunking

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A
Bonjour, suite à la lecture d'un commentaire sur un article , j'ai trouvé une question assez pertinente. Pourquoi ne pas tester les anticorps avant d'effectuer une deuxième dose pour le ROR vu que la majorité des cas n'auront pas besoin de la seconde ?<br /> Est ce un problème de coût ? (Test plus coûteux que la dose de vaccin) ou est ce que le test n'est pas fiable ?
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A
Effectivement, je n'avais pas pensé au fait que sur les 3 vaccins, on baisserait énormément la probabilité de réussite sur la 1 ère dose... Sans compter la complexité administrative générée
J
On peut le faire dans certaines situations (thrombocytopénie après la première dose), histoire d'éviter la seconde dose si possible. Mais sinon, ce n'est pas recommandé d'un point de vue collectif. <br /> <br /> https://www.hse.ie/eng/health/immunisation/hcpinfo/OtherVaccines/rubella/FAQRubella.pdf<br /> https://www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/00053391.htm<br /> <br /> Entre une prise de sang+éventuel vaccin et vaccin, autant y aller direct pour le vaccin, vue que le test séro aura ses faux positifs, et ses faux négatifs, comme tous les tests (plus les risques et l'inconfort des prises de sang). Et puis il y a 3 maladies visées par le vaccin, et ce ne seront pas forcément les mêmes qui seront négatifs pour les 3... donc la proportion de personnes à revacciner est plus grande que ce que l'intuition vous nous faire croire. Pour le coût je ne sais pas, mais j'imagine que ça commencerait à chiffrer sérieusement, rien qu'en "main d’œuvre" de labo d'analyses...
A
Merci pour vos articles clair, précis et surtout etayés !<br /> C'est de plus en plus rare en ces périodes troublees dans notre soit disant société de l'information !
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G
En tant qu'extralucide officiel, je précède le commentaire/réponse fleuve de CMT :<br /> Argument 1 : "nan mais de toutes façon vous êtes que des suppôts de BigPharma"<br /> Argument 2 : ah bah non, y'a pas de 2 (mais le 1 fait 50000 signes)<br /> :D
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