Vaccination contre le tétanos et désinformation
Publié le 31 Août 2013
Pour les figures de proue du mouvement anti-vaccinaliste français, si il y a bien une vaccination à démolir quitte à en devenir ridicule, c'est celle contre le tétanos! Je vois deux raisons à cette attitude. Si vous souhaitez des renseignements sur le tétanos et sa vaccination, sans passer par la case debunking, vous pouvez consulter directement le chapitre consacré au tétanos du Guide des vaccinations 2012 ou cette note de synthèse de l'OMS.
Raison n°1
Il s'agit d'une des trois vaccinations obligatoires pour les nourrissons en France (avec les vaccinations contre la diphtérie et la polio). Et quoi de plus amusant que de s'opposer bêtement à une loi, de faire croire qu'elle contrevient aux libertés individuelles des parents?
Pourtant c'est bien des enfants et de leur droit à être protégés qu'il s'agit, et non des parents et de leur goûts et couleurs. Les enfants sont sous la responsabillité de leurs parents, ils ne sont pas leur petite propriété individuelle.
Raison n°2
Il s'agit d'une vaccination que certains parents, réticents à la vaccination en général, estiment néanmoins nécessaire. Tiens, mais pourquoi donc? Cela tient au fait qu'il ne s'agit pas d'une maladie contagieuse, et donc pour laquelle la notion d'immunité de groupe n'est pas applicable.
Pour les maladies contagieuses telles que la rougeole, les personnes qui refusent la vaccination (je parle ici d'opposition et non de négligence) savent plus ou moins consciemment que la circulation de l'agent pathogène est réduite par la vaccination de ceux qui ne la refusent pas.
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Les gens qui vaccinent contre la rougeole font le pari raisonnable d'échanger les risques de la maladie contre les risques de la vaccination, étant donné la balance bénéfices-risques favorable de la vaccination.
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Les gens qui refusent de vacciner contre la rougeole font plus ou moins consciemment un pari plus audacieux: éviter les risques de la vaccination en comptant sur les autres pour leur éviter les risques de la maladie. Il est rare que ces personnes admettent faire ce pari. Elles préfèreront justifier publiquement leur choix en utilisant les arguments fallacieux (la visite des petits mensonges épidémiologiques commence ici) fournis par les figures de proue de la mouvance anti-vaccins (en plus ça permet de briller en société).
Comme l'explique Claire-Anne Siegrist, vaccinologue à l’Université de Genève:
Une maman m’a avoué que pour elle, l’idéal, c’était que les enfants des autres se fassent vacciner, mais pas les siens. Cet argument est sous-jacent chez beaucoup de gens qui refusent la vaccination. Mais ce choix, il faut pouvoir le justifier. Et personne ne peut dire ouvertement qu’il n’en a rien à faire des autres ! Résultat : les opposants utilisent des arguments pseudo-scientifiques, comme au temps d’Edward Jenner, en affirmant sans preuves que les vaccins sont inefficaces et dangereux. Cela permet de se dédouaner sans passer pour un égoïste.
Donc en ce qui concerne le tétanos, les parents ne parient pas sur l'attitude des autres parents. Une évidence s'impose donc pour les figures de proue de la mouvance anti-vaccins: il faut aller plus loin que contester le caractère obligatoire de la vaccination contre la tétanos, il faudra aussi convaincre réellement les parents de son inutilité. Comment s'y prendre? En passant sous silence certains faits, certaines subtilités, il est possible d'énoncer des arguments qui au premier abord semblent logiques. Il y en a deux qui reviennent souvent.
Argument n°1
Comment le vaccin contre le tétanos pourrait-il induire une immunité, alors que contracter la maladie naturellement n'entraine pas d'immunité?
L'argument semble légitime à première vue puisqu'on retient souvent grossièrement que la vaccination consiste à présenter une version atténuée ou morte des pathogènes à l'organisme, en vue de l'entrainer et de le préparer au contact avec la vraie version du pathogène. Comment la vaccination pourrait alors faire plus que la maladie?
Argument n°2
Le bacille du tétanos est anaérobie (n'aime pas l'oxygène), comment pourrait-il rencontrer les anticorps vaccinaux présents dans le sang (qui lui est oxygéné)?
Dit comme cela, cela semble intuitivement logique. Imparable pour qui n'a pas de culture générale sur la question!
Pourtant, quand on se renseigne sur la tétanos et sa vaccination sans passer par la case "discours anti-vaccin", on comprend toute la bêtise de ces arguments. Bref, reprenons les bases.
Qui est le coupable? Clostridium tetani, dans une plaie, avec des toxines!
- L'agent pathogène du tétanos est un bacille/bactérie anaéorobie qui est présent un peu partout dans l'environnement sous forme de spore. Il s'agit d'une forme "dormante" sous laquelle il ne se reproduit pas, il est en attente des conditions favorables à sa germination (c'est-à-dire à son "réveil").
- Des spores dormants peuvent être introduits dans le corps humain à l'occasion d'une blessure: écorchure au pied pendant une promenade dans la nature, entailles aux mains/bras pendant le jardinage, section du cordon ombilical si les conditions d'aseptie ne sont pas remplies,... Plus précisément: Les plaies profondes, punctiformes, les plaies contenant des tissus dévitalisés ou un corps étranger créent un environnement plus favorable au développement du Clostridium tetani, mais n'importe quelle effraction cutanée, même la plus superficielle, peut permettre l'infection.
- Si la plaie est très mal ou pas oxygénée (environnement anaérobie, par exemple: plaies infectées, contenant des tissus nécrotiques ou des corps étrangers), le spore se réveille et le bacille commence à se multiplier sur place, il n'est pas mobile. Quand un bacille meurt, il libère des toxines, dont la tétanospasmine, extrêmement neurotoxique.
Ce sont les toxines qui sont responsables des symptomes du tétanos, et non les bacilles. Les toxines, contrairement aux bacilles, sont mobiles et non anaérobies, et elles en veulent à votre sytème nerveux.
- Depuis la moelle épinière (élément du système nerveux central), des nerfs moteurs partent en direction des muscles pour leur transmettre l'ordre de se contracter ou de se relacher. Les nerfs moteurs contiennent les axones qui émanent du corps cellulaire de neurones (appelés motoneurones), situés au niveau de la moelle épinière.
- Les toxines entrent dans les motoneurones par les terminaisons des axones. Elles remontent très lentement les axones jusqu'à atteindre le système nerveux central (transport rétrograde). La remontée se fait au rythme de 10 à 40 centimètres par jour. Arrivées au niveau de la moelle épinière, leur toxicité se revèle. Elles inhibent les processus qui permettent aux muscles de se relacher, entrainant ainsi les contractures, spasmes et convulsions associées au tétanos.
La quantité de toxine suffisante pour déclencher la maladie est très faible.
- Tellement faible que la réponse immunitaire ne pourra pas se mettre en place. La dose mortelle est d'environ 175 nanogrammes pour un adulte de 70 kg (1 nanogramme=0.000000001 gramme). Il n'y aura pas fabrication d'anticorps pour neutraliser les toxines avant qu'elles atteignent les terminaisons des axones.
- Sachant cela, il suffit, pour procéder à la vaccination, de présenter au corps une quantité très élevée d'une version inactivée de la toxine, appelée anatoxine. Cette anatoxine est non toxique pour le système nerveux et a l'avantage, si elle est administrée en quantité suffisante, d'induire la fabrication d'anticorps (appelés antitoxines) capables de neutraliser les "vraies" toxines. Une primo-vaccination, que ce soit chez le nourrisson ou l'adulte, consiste en plusieurs injections qui contiennent chacune au moins 30 microgrammes d'anatoxines (les notices indiquent 40 UI ou 10 Lf, sachant que 1 milligramme correspond à 320-400 Lf). La dose immunogène est donc au moins plusieurs centaines de fois supérieure à la dose létale.
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Si on en revient à la vision grossière que l'on peut avoir de la vaccination, cela revient à dire qu'on présente une version morte de ce qui cause les symptomes, mais en énorme quantité. On en fait donc bien plus que dans le cas de la maladie.
Parfois les militants anti-vaccins sont informés de ces deux points (différence entre bacille et toxine, différence entre doses létale et immunogène) et ont quand même des scrupules à le nier. Solution? Biaiser en prétendant que la toxine atteint directement les nerfs et ne passe pas par le sang et que seul le sang contient les anticorps, rendant la rencontre entre les deux impossibles. Ce qui m'amène aux deux points suivants.
La forme la plus courante du tétanos est la forme généralisée qui atteint tout le corps en commençant par la nuque, la machoire et le visage, et ce, quelle que soit la localisation de la plaie. Cela s'explique par le passage de la toxine par la circulation sanguine.
- Grâce au processus de diffusion (déplacement dans le sens opposé au gradient de concentration, comme de l'encre qui se diffuse dans un verre d'eau) dans les fluides présents au niveau de la plaie (liquide intersticiel, aussi appelé lymphe intersticielle, qui baigne les cellules qui composent les tissus), les toxines vont s'éloigner peu à peu du lieu de multiplication des bacilles, dans toutes les directions, jusqu'à quitter la plaie. Certaines vont s'approcher suffisemment près d'une extrémité axonale proche de la plaie pour être "attirée" et s'y introduire avant d'entamer le périple vers le système nerveux central.
- Les autres vont finir par rencontrer un capillaire sanguin ou lymphatique pour être entrainées dans la circulation générale. Circulation générale qui va les amener à rencontrer d'autres extrémités axonales au hasard des échanges entre la circulation sanguine et les tissus musculaires. La vitesse de circulation de la toxine par cette voie est beaucoup plus rapide (de 0,05 cm/s dans les capillaire à 20 cm/seconde dans les artères et veines) que la vitesse de remontée d'une toxine via un axone (10 à 40 cm... par jour!). Par conséquent, ce sont les nerfs les plus courts (nuque, visage, machoire) qui auront fini d'être remontés en premier par les toxines.
Les toxines ont toutes les occasions possibles de rencontrer les anticorps vaccinaux avant de rencontrer les extrémités des axones, car la présence de ces derniers n'est pas limitée à la circulation sanguine.
- Chez une personne vaccinée, il y a une présence importante d'anticorps (antitoxines) disséminés un peu partout grâce à la circulation générale. Il y a donc des anticorps dans le sang, dans la lymphe, et dans le liquide intersticiel. La circulation générale renouvelle ce liquide: il est amené par le sang et drainé sous forme de lymphe. En fait, on peut imaginer les tissus comme des éponges imbibées d'anticorps antitétaniques.
- Dans une plaie favorable au tétanos, le liquide intersticiel présent avant blessure n'est plus aussi bien renouvelé, mais les anticorps qui étaient déjà présent peuvent intercepter les toxines en train de diffuser hors de la plaie. De plus les anticorps présents en dehors de la plaie vont avoir tendance à diffuser vers la plaie au fur et à mesure de leur utilisation (pour suivre le sens opposé au gradient de concentration). En fait, les toxines et les antitoxines vont à la rencontre les unes des autres, comme deux armées sur un champ de bataille. Si la rencontre ne se fait pas au niveau de la plaie, elle aura tout simplement lieu en dehors, un peu plus loin. Au plus une toxine parcourt du chemin, au plus elle augmente ses chances de rencontrer une antitoxine.
En dernier recours, face aux explications précédentes, les militants anti-vaccins en sont le plus souvent réduits à présenter des preuves anecdotiques/case report concernant des gens vaccinés mais atteints par le tétanos (exemple). Mais en médecine, il y aura toujours des exceptions à la règle (réaction insuffisante ou inappropriée au vaccin) qui ne remettent pas cette dernière en cause pour autant.