L'écroulement du mât vaccinal (au pays imaginaire)
Publié le 6 Octobre 2013
Chez les militants anti-vaccins, il y a un comportement tout aussi curieux qu'amusant: le déni du fait que les gens puissent adhérer de plus en plus nombreux à une vaccination donnée, ou en d'autres termes, que la couverture vaccinale soit élevée et en hausse, comme c'est le cas pour la vaccination ROR en France (cfr le billet état de la vaccination en France). Ce déni donne lieu à de savoureuses prophéties, telle que la suivante, datant de 2007 et énoncée par une militante anti-vaccins sur un forum dédié aux questions de santé:
tout simplement, le vent va tourner et la vaccination deviendra une ancienne pratique qui figurera comme telle, à l'instar de l' "inébranlable croyance en la platitude de la terre" (gloire à Ptolémée!!!) dans les livres d'histoire des générations futures
le "mât vaccinal" est parti pour s'écrouler DEFINITIVEMENT
Et oui! Certains militants anti-vaccins vivent au pays imaginaire, celui où les maladies à prévention vaccinale sont vos amies, et votre médecin, un Capitaine qui aurait troqué son crochet contre une seringue. Mais que se passe-t-il lorsque certains prennent par hasard connaissance de la réalité de la couverture vaccinale? Ils semblent alors trépigner de dépit, comme vous pourrez l'observer dans la billet suivant: Vaccination contre la rougeole: nouvelle campagne de peur lancée en Flandre, écrit par un collectif belge opposé à la vaccination et adepte de communication biaisée. C'est-à-dire qu'il s'agit d'un mouvement qui ne se présentera pas comme opposé à la vaccination, mais comme étant favorable à des valeurs largement partagées comme la liberté, l'information consentie, etc... Même si le fond du discours est identique, il passe mieux dans la forme auprès du grand public(1).
Ce collectif belge est le digne héritier des Sylvie Simon & Co. Les méthodes sont les mêmes, et comme je le notais à propos de Mme Simon:
Au final, on obtient une jolie bouillie pas loin du Spreading/Gish Gallop. Cela consiste tout simplement à produire un argumentaire condensé tellement biaisé qu'il serait humainement difficile de défaire le sac de nœuds dans son entièreté en un temps raisonnable (cela se rapproche de la fractal wrongness).
Jetons un oeil à quelques extraits de ce billet:
- Alors que la rougeole ne constitue nullement (et n'a jamais constitué) une véritable préoccupation de santé publique, [...]
Cette phrase est absurde en elle-même: si les autorités de santé n'avaient jamais été préoccupées par la rougeole, elles ne recommanderaient pas la vaccination. Pour sembler sérieux, un militant anti-vaccins devrait plutôt écrire que: "les autorités de santé se trompent en considérant la rougeole comme une préoccupation de santé publique". Au moins il y aurait quelque chose à répondre... Comme par exemple le fait qu'en dehors d'un programme de vaccination, tout le monde ou presque contracte la rougeole à un moment ou un autre de sa vie. Cela revient à dire que le nombre de cas de rougeole annuel moyen dans un pays ou une région donnée serait égal au nombre annuel moyen de naissances.
- Pour la France, cela donnerait de l'ordre de 800 000 cas de rougeole par an (comme c'est d'ailleurs le cas pour la varicelle de nos jours).
- Pour la Belgique, il s'agirait d'environ 130 000 cas (dont 20 000, 40 000 et 70 000 pour les régions bruxelloise, wallonne et flamande, respectivement).
Voilà où se situe la préoccupation des autorités de santé: la forte incidence de la rougeole hors vaccination.
- la Flandre lance une grande campagne idéologique pour vacciner à tout prix...
Oulala, une campagne d'information en santé publique? Mais quelle horreur!
Dans la même idée (oh, logique!), selon le collectif Action Habitante (liberté routière-information), l'IBSR (Institut Belge pour la sécurité routière) lance régulièrement de gigantesques opérations de lavage de cerveau à l'intention des automobilistes pour qu'ils lèvent le pied et bouclent leur ceinture(2). A-F-F-R-E-U-X.
- Il faut vacciner encore plus nous dit-on. Etrange discours que celui-là en Flandre où 96% des enfants ont déjà reçu au moins une dose et 92% une deuxième dose. Objectif ? Eliminer la maladie d'ici 2015, selon les diktats et l'idéologie de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Si l'objectif est d'atteindre l'élimination, l'objectif intermédiaire est alors une couverture vaccinale d'au moins 95% pour les deux doses. Il n'y a rien d'étrange à vouloir vacciner "un petit peu plus". Si votre employeur vous verse 97% de votre salaire, en vous disant qu'il est étrange que vous vouliez également le versement des 3% restants, je suis pas certaine que vous serez d'accord avec lui.
- Le gros problème dans tout ça, c'est que: [...]
A ce stade, on se doute bien que le véritable gros problème du collectif belge, c'est d'avoir découvert qu'on vaccine déjà beaucoup en Flandre contre la rougeole. C'est tout simplement inconcevable, puisqu'ils voudraient se persuader que la population doute de plus en plus et vaccine de moins en moins, que ce n'est qu'une question de temps avant que le mât vaccinal ne s'écroule, etc...
Espérons qu'il n'y a pas trop de militants anti-vaccins au Grand Duché de Luxembourg, parce qu'ils doivent être au supplice:
Au Grand-Duché, la directrice générale de la Santé, elle, se veut sereine: «Pas d'épidémie à redouter». Et le Dr Hansen-Kœnig de mettre cela sur le compte d'une couverture vaccinale de la population proche des 95%.
Bon, reprenons :
- Le gros problème dans tout ça, c'est que:
- Dans une population où la rougeole est aussi rare, le rapport bénéfices/risques d'une vaccination étendue sera inévitablement plus défavorable encore avec quasiment que des risques et aucun bénéfice.
Et elle est rare pourquoi la rougeole? Parce qu'on vaccine déjà pardi!
Pour les autorités de santé publique, les bénéfices et risques de la vaccination d'au moins 95% des enfants sont comparés aux risques en l'absence de vaccination. Il s'agit d'une notion collective. Au final, la balance bénéfices/risques est en faveur de la vaccination.
Pour un militant anti-vaccins qui trépigne, on comprend que le rapport bénéfices/risques est une notion individuelle où on compare les bénéfices que l'on tire à laisser les autres prendre les risques. Comme expliqué précédemment, le pari en tant qu'individu est que si suffisamment d'autres personnes prennent les risques de la vaccination, on aura à encourir ni les risques de la maladie, ni ceux de la vaccination. C'est une stratégie qui n'est pas interdite, puisque la vaccination n'est pas obligatoire. Mais c'est aussi une stratégie qui échoue si on arrive à convaincre trop de monde de la suivre. A ne pas rester discret, les militants anti-vaccins scient la branche (le mât?) sur laquelle ils sont assis, c'est-à-dire la branche de l'immunité de groupe.
- - On ne dit pas aux gens que la mortalité liée à la rougeole a baissé spontanément, sans vaccin, de 99,5% en France entre 1906 et 1983 (année où on a introduit la vaccination ROR et où on a commencé à la généraliser) et ce genre de baisse est évidemment similaire dans les autres pays où les conditions socio-économiques et d'hygiène sont comparables.
Il s'agit là du petit mensonge épidémiologique n°5 (et il sent moins bon que le parfum du même nom), un de ces sophismes destinés à induire les gens en erreur.
La mortalité est le résultat de la multiplication de l'incidence et de la létalité. Dès qu'un des deux facteurs diminue, la mortalité baisse. C'est mathématique.
- Dans la première moitié du 20ème siècle, l'incidence de la rougeole n'a pas bougé, tandis que la létalité a diminué.
- Dans la seconde partie du 20ème siècle, la létalité n'a plus diminué, mais l'incidence s'est effondrée grâce à la vaccination.
On ne propose pas aux gens de vacciner à cause de ce qu'était la létalité au début du 20ème siècle. On le propose à cause de ce que serait l'incidence aujourd'hui en l'absence de vaccination. Ainsi, dans des pays privilégiés comme la France ou la Belgique, renoncer globalement à la vaccination contre la rougeole reviendrait à dire à chaque nouveau-né, en guise de message de bienvenue:
“Tu as environ 1 chance sur 5000 de décéder un jour d'une maladie appelée rougeole. Bonne Chance!”
Pas sûr que les militants anti-vaccins puissent reconnaître et accepter cette réalité, et encore moins la communiquer sans détours, sans biais.
(1)Pour découvrir comment créer vous-même un mouvement anti-vaccins bien sous tout rapport, suivre le cours de vaccinophobie de l'Institut Supérieur de Charlatologie.
(2) il s'agit d'un pastiche, évidemment.