Les vaccins sauvent des vies... Oui mais combien?

Publié le 31 Mars 2014

Pour certains, l'amélioration de [complétez par tous les facteurs qui ont participé à l'amélioration de la santé publique, en dehors des vaccins] au cours du 20ème siècle rendrait les vaccins inutiles. Il y a ceux qui, en toute simplicité, nient l'utilité des vaccins, quels que soient le lieu et l'époque. Et il y a ceux qui pensent que les vaccins étaient peut-être utiles par la passé, mais que ce ne serait plus le cas aujourd'hui. Les recommandations vaccinales actuelles ne serviraient à rien.

Que leur répondre?

 

Les vaccins sauvent des vies... Oui mais combien?

Reprenons les bases

 

La mortalité liée à une maladie est le produit de son incidence et de sa létalité.

Mortalité = Incidence x Létalité

 

Un exemple pour bien comprendre. La France compte environ 65 millions d'habitants. Chaque année, il y a environ huit cent mille infections varicelleuses et vingt décès associés.

  • l'incidence de la varicelle en France est donc de 1230/100000 habitants par an
    (huit cent mille cas divisé par la taille de la population),
  • la mortalité annuelle sera de 0,03/100000 habitants par an
    (vingt décès divisé par la taille de la population),
  • tandis que la létalité sera 0,25/10000 cas
    (vingt décès divisé par huit cent mille cas).

 

Basiquement, les vaccins ont une influence directe sur l'incidence, puisque leur mode d'action vise à prévenir le développement des maladies. L'influence des vaccins sur la mortalité est moins directe puisque cette dernière dépend également de la létalité. Les facteurs d'amélioration de la santé publique autres que les vaccins peuvent, selon la maladie considérée, influer sur l'incidence et/ou la létalité, et donc au final sur la mortalité.  

Devant les données attestant de la diminution de mortalité pour une maladie infectieuse, certains vont l’attribuer d’office à une diminution de la létalité, sans même jeter un œil à l’incidence (Petit mensonge épidémiologique n°5). Dans l'imaginaire collectif, la létalité des maladies infectieuses ne ferait que décroître depuis le début du 20ème siècle, entrainant avec elle la mortalité. Or, il s’agit bien là d’une idée reçue. Par exemple, la létalité de la rougeole stagne depuis les années 1950 dans les pays développés. Un individu qui contracte la rougeole en France en 2014 a quasiment les mêmes chances de survie qu'un individu l’ayant contractée au début des années 1960, juste avant l'introduction de la vaccination contre la rougeole. La baisse de mortalité observée est donc à rechercher dans une baisse de l’incidence.

 

Certains sont alors tentés d'attribuer la diminution observée de l'incidence de certaines maladies à d'autres facteurs que les vaccins. Mais en la matière, il ne faut pas se risquer à généraliser. Cela dépend du mode de transmission de la maladie, de sa contagiosité, etc... Par exemple, la peste, qui se transmet à l'homme essentiellement par les rats et leurs puces, peut être évitée grâce à des mesures de santé publique telles que la désinsectisation et la dératisation. La vaccination du grand public n’est pas nécessaire.

A contrario, un vaccin est indispensable pour éviter les polios paralytiques. En effet, l'amélioration de l'hygiène de l'eau a paradoxalement entrainé une hausse des cas de polio paralytique. Les gens ont été moins souvent exposés au virus grâce à l'hygiène de l'eau, mais comme celui-ci se transmet également directement de personne à personne via la route oro-fécale ou orale-orale, voire même par transmission aérienne, l'âge du premier contact avec le virus a augmenté, alors que le risque de paralysie augmente avec l'âge.

Enfin, les améliorations d'hygiène n'ont pas eu d'effet sur l’incidence de maladies qui se transmettent essentiellement par voie aérienne, comme la rougeole ou la varicelle. La raison pour laquelle il y a toujours 800000 cas de varicelle par an en France, c'est simplement parce qu’on n’y vaccine pas les enfants de façon généralisée. Ce n’est pas parce que la France serait un pays sanitairement douteux...

Et les recommandations dans tout ça?

 

Les recommandations actuelles ne visent qu'à sauver des vies AUJOURD'HUI et DEMAIN, puisqu'il n'est pas question de remonter le temps seringue à la main. Elles ne sont pas établies au nom de la létalité qui prévalait au début du 20ème siècle. Elles sont établies en fonction de ce que serait aujourd'hui l'incidence si on n'avait jamais vacciné et de la létalité actuelle.

 

Ainsi, en France, on ne vaccine pas contre la rougeole parce qu'elle faisait des milliers de morts dans les années 1900... Mais parce qu'aujourd'hui et demain, cela permet d'éviter près de 800000 cas et 80 à 800 décès par an (et n'oublions pas qu'entre le cas bénin et le décès, il y a toute une palette de complications possibles). 


Penser que les experts qui établissent les recommandations ne prennent pas en compte l’influence des facteurs autres que les vaccins est un peu naïf. Confondre ses idées reçues avec du « bon sens », c’est faire de l’épidémiologie et de la vaccinologie de comptoir.

 

Experts de santé publique discutant des recommandations vaccinales?

Experts de santé publique discutant des recommandations vaccinales?

Enfin, pour répondre à la question posée en titre...

 

Estimation du nombre de vies sauvées aux USA par les vaccinations de routine

 

L'influence du programme de vaccination américain sur  la cohorte de naissance de 2009 a été estimée dans une étude qui vient d’être publiée dans la revue Pediatrics.

 

L'idée est simple. Il s'agit d'estimer le nombre de cas évités au cours de la vie des individus de la cohorte pour chaque maladie à prévention vaccinale incluse dans les vaccinations de routine. En multipliant par la létalité actuelle de chaque maladie, on obtient une estimation du nombre de décès prématurés qui seront évités.
Ils ont également procédé à une estimation des économies réalisées en soins de santé (coûts directs) et pour la société dans son ensemble (coûts indirects). Les vaccins ne font pas que sauver des vies, ils sont rentables pour la société.

Le tableau suivant donne les résultats pour les différentes maladies considérées :
 

Les vaccins sauvent des vies... Oui mais combien?

On notera l'importance de la diphtérie, de la coqueluche, de la rougeole, de l'hépatite B, et des infections à pneumocoques en ce qui concerne les décès évités. On remarquera également, au vu du nombre de cas évités, de l'intérêt de vacciner contre les maladies infantiles classiques et souvent perçues comme « bénignes» (rougeole, varicelle, coqueluche, rubéole, ...).

 

Au final, pour les enfants nés en 2009 (un peu plus de 4 millions), les vaccinations de routine vont permettre d'éviter :

  • près de 20 millions d'épisodes infectieux ou encore 5 épisodes infectieux en moyenne par personne au cours d’une vie,
  • et environ 40000 décès prématurés, c'est-à-dire 1 décès prématuré par maladie infectieuse pour 100 personnes.

 

A noter que considérer le devenir des individus d'une cohorte de naissance au cours de leur vie entière est équivalent en termes de nombre absolu de cas et de décès au fait de considérer l'entièreté de la population au cours d'une seule année  (si on part du principe que la natalité et les couvertures vaccinales ne varient pas trop au cours du temps). En l'état actuel du programme de vaccination américain, environ 40000 vies sont donc sauvées chaque année.

 

Si on ramenait les chiffres américains à l’échelle de la France, 8000 décès par maladie  infectieuses seraient donc évités chaque année. En fait, c’est un peu moins, car on vaccine moins en France qu’aux USA (moins de maladies considérées et des couvertures vaccinales un peu plus faibles).

Les militants anti-vaccins qui prétendent que les vaccins prennent plus de vie qu'ils n'en sauvent ne chiffrent jamais précisément leurs affirmations. Faisons-le à leur place. Ce qu'ils affirment, c'est donc que les  vaccins sont la cause d'au moins un décès prématuré pour 100 individus, ou qu'ils tuent plus de 40000 personnes par an aux USA. S’ils le disaient en ces termes précis, est-ce qu'il y aurait encore des gens pour les prendre au sérieux? Y croiraient-ils eux-mêmes? Pas sûr…

 

Suggestions de lecture

Vaccines prevent 42,000 children’s deaths in the USA every year 
(Skeptical Raptor, à propos de l’article publié dans Pediatrics et discuté ici)

What Would Happen If We Stopped Vaccinations?
(CDC, Centers for Disease Control and Prevention)

Projet Tycho: l'impact de la vaccination
(sur ce blog, et aussi sur le thème de l’impact d’ensemble de la vaccination)

 

Rédigé par Julie

Publié dans #debunking, #Actualité

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