La mouvance anti-vaccins ne prend pas de vacances

Publié le 28 Juillet 2013

Certains esprits échauffés semblent bouilloner avec l'arrivée de la canicule. Chez Mme Simon, ça donne le billet suivant : La disparition des maladies infectieuses n'est pas due aux vaccins.

Pour faire partie de la mouvance anti-vaccins bien sous tout rapport, il faut adhérer à ces deux tendances:

  1. nier les effets des vaccins sur l'épidémiologie des maladies
    (le sophisme « vaccins inefficaces, inutiles »)
  2. nier le caractère positif de leur balance bénéfices-risques
    (le sophisme « vaccins dangereux »)

On pourrait aussi rajouter les tendances/sophismes « vaccins pas naturels » et « vaccins source de profits pour Big Pharma »...

Contre toute logique, les tendances « vaccins inefficaces, inutiles » et «vaccins dangereux » ne sont pas exclusives l'une de l'autre. Un anti-vaccin pourra sans sourciller vous dire qu'un vaccin qui ne fait rien induit dans le même temps des effets secondaires graves (de la même façon que les anti-vaccins sont souvent des pro-homéopathie qui clament que les granules sont efficaces mais sans effets secondaires). Mme Simon se revendique des deux tendances et souhaiterait que ceux qui font partie de la seconde adhèrent aussi à la première:

  • Il existe actuellement un rejet très net du principe vaccinal à cause des nombreux effets secondaires graves qu’il génère. Cependant, même les victimes de l’obligation vaccinale persistent à affirmer que, malgré les risques, les vaccins ont « éradiqué » les maladies infectieuses de la planète.
    Or, dès que l’on se penche sur la question, on s’aperçoit qu’il n’en est rien et que certaines épidémies qui ont ravagé nos pays ont disparu sans aucun vaccin, ce que les partisans des vaccins semblent ignorer.

Le souhait de Mme Simon lui est probablement inspiré par l'actualité concernant une association de personnes se disant victimes des effets secondaires des vaccins, mais qui ne nient pas l'utilité de ces derniers, et ne se positionne donc pas comme faisant partie de la mouvance anti-vaccins. En effet, ce genre de position est impossible à admettre pour les anti-vaccins qui souhaiteraient quand même récupérer à leur profit l'action de cette association. Il faudrait donc ramener ces personnes et cette association dans le droit chemin de l'anti-vaccinalisme bien comme il faut.

Peste et Choléra

Quand il s'agit de faire appel à des maladies qui ont disparu de France sans vaccination (mais après avoir un tant soi peu décimé la population... rien de grave pour les pro-natures qui doivent adorer le concept de la sélection naturelle...), pour « démontrer » que l'évolution récente de l'épidémiologie de certaines maladies au niveau mondial n'aurait rien à voir avec la vaccination, Mme Simon ne prend même pas la peine de choisir entre la Peste et le Choléra. Elle prend les deux, et rajoute la lèpre par dessus la marché.

Pour rappel, une maladie est caractérisée par son ou ses pathogènes, sa contagiosité, ses modes de transmission, ses réservoirs,... Bref une maladie n'est pas une autre, bien que certaines puissent avoir des caractéristiques communes. Il est donc étrange de vouloir induire l'idée, par exemple, que l'abscence de Choléra en France signifie que l'évolution de l'épidémiologie de la rougeole au niveau mondial au cours des dernières décennies ne serait pas due à la vaccination. En effet, ces maladies n'ont, entre autre chose, pas le même mode de transmission, ni les mêmes réservoirs.

De plus, raisonnons par l'absurde : si l'argument était valide, c'est-à-dire si la rougeole disparaissait toute seule indépendamment de la vaccination, ça devrait être aussi le cas pour la varicelle qui a un mode de transmission et une contagiosité plus ou moins semblable à ceux de la rougeole. Or, l'incidence de la varicelle ne diminue que dans les pays où la vaccination contre cette maladie est généralisée (ex : USA). En France, la varicelle continue de toucher tout le monde ou presque à un moment ou un autre, comme le faisait la rougeole avant l'introduction de la vaccination. On compte donc environ 800 000 cas de varicelle par an en France.

L'incidence c'est pas la mortalité, et vice et versa

Ensuite, les choses sérieuses commencent:

  • D’une manière générale, il suffit d’observer les courbes de déclin des maladies pour s’apercevoir que ce déclin a toujours commencé bien avant l’introduction des vaccins.

Parler de courbes de maladie sans préciser si on parle de l'incidence, de la mortalité, ou des formes graves/complications de la maladie permet de jouer avec de beaux épouvantails:
« l’épouvantail (ou homme de paille) est un sophisme qui consiste à présenter la position de son adversaire de façon volontairement erronée. Créer un argument épouvantail consiste à formuler un argument facilement réfutable puis à l'attribuer à son opposant ».

C'est d'autant plus facile et rapide à faire que les anti-vaccins se refilent entre eux les graphes et argumentaires à utiliser, ce qui évite de trouver les données qui pourraient les amener à se poser eux-mêmes des questions (CherryPicking). Pour rendre toute vérification laborieuse, ne pas hésiter à brouiller encore un peu plus les cartes en manipulant les dates de vaccination, en inventant des chiffres, etc...

Au final, on obtient une jolie bouillie pas loin du Spreading/Gish Gallop. Cela consiste tout simplement à produire un argumentaire condensé tellement biaisé qu'il serait humainement difficile de défaire le sac de nœuds dans son entièreté en un temps raisonnable (cela se rapproche de la fractal wrongness).

Concentrons-nous sur le cas de la rougeole (et vous allez voir que c'est déjà un travail collossal)...

  1. Position de l' « adversaire » (qui sont donc les « autorités de santé au sens large ») :
    le vaccin a un effet démontré sur l'incidence, d'où déclin de la maladie, dont découle une réduction de la mortalité associée à la maladie.
  2. Position falsifiée de l' « adversaire », ou création de l'épouvantail :
    le vaccin permet de faire décliner la maladie, le vaccin est donc le responsable du déclin de la mortalité.
  3. Réfutation de la position falsifiée, ou destruction de l'épouvantail :
    la réduction de mortalité a débuté avant la vaccination, donc la vaccination n'est pas responsable du déclin de la maladie.

Parfait! Sauf que l' « adversaire » n'a jamais nié que la réduction de la mortalité a débuté avant la vaccination, tout ce qu'il dit c'est que la vaccination a permis une réduction de la mortalité. Les deux faits ne sont pas incompatibles.

Voilà donc le graphe que Sylvie Simon présente pour la rougeole :

La mouvance anti-vaccins ne prend pas de vacances

Il s'agit donc de la mortalité de la rougeole aux USA jusqu'en 1960. On note au passage qu'en réalité la vaccination n'a été introduite qu'en 1963 et que donc la date indiquée sur le graphe est quelque peu fantaisiste.
Comment pourrait-on démontrer l'inefficacité d'un vaccin en montrant une courbe qui ne couvre même pas une petite période de vaccination ? Réponse: on ne peut pas. Par contre, on peut tout à fait se rendre compte de l'utilité de la vaccination au moyen d'une courbe d'incidence avant et après introduction de la vaccination :

La mouvance anti-vaccins ne prend pas de vacances

Alors il est pas efficace le vaccin peut-être ?

Pour plus de détails entre la confusion incidence/mortalité, voire le petit mensonge épidémiologiques n°5 (PME5) et pour plus de détails sur la rougeole aux USA, voir ici.

En plus de la courbe de mortalité, Mme Simon y va donc d'un petit texte dense (la fameuse bouillie...). J'ai déjà abordé les divagations de Mme Simon sur la rougeole, mais reprenons encore une fois:

  • Aux États-Unis, en 1958, on répertoriait environ 800 000 cas de rougeole, mais en 1962, une année avant l’introduction du vaccin, ce chiffre était brusquement tombé à 3 000 (fig. 7).

Déjà on peut se demander à quelle figure 7 il est fait référence (la figure de mortalité présentée par Mme Simon ne saurait indiquer le nombre de cas en 1962).
Il est amusant de noter qu'ici la vraie date d'introduction du vaccin est fournie.
Enfin, encore plus cocasse, il suffit de regarder la courbe d'incidence donnée plus haut pour se rendre compte que le chiffre de 3000 est purement et simplement inventé. L'origine de cette invention est expliquée ici.

  • Pendant les quatre années suivantes, ce chiffre a continué à baisser

Personnellement, je ne me risquerais pas à faire des comparaisons basées sur un chiffre imaginaire, mais chacun fait ce qu'il veut après tout...

  • alors que les vaccins administrés pendant cette période furent jugés par la suite parfaitement inutiles au point d’être abandonnés.

Si les USA ont dans un premier temps testé plusieurs vaccins contre la rougeole pour finalement se fixer sur l'un deux après quelques années, il n'a jamais été question d'inutilité et d'abandon de la vaccination en elle-même, puisque la couverture vaccinale ne s'est jamais effondrée (voir la courbe de couverture vaccinale ici.)

  • Cependant, les vaccinations ont repris de plus belle dès 1978 et, d’après le Dr Mendelsohn, « la mortalité par rougeole a été multipliée par 25 depuis ces campagnes vaccinales ».

Nous dire cela sans même nous montrer une courbe de mortalité qui irait au-delà de 1960, est-ce bien sérieux? Une courbe comme celle-ci ferait pourtant parfaitement l'affaire...

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... sauf qu'elle n'indique pas de multiplication par 25 de la mortalité après 1978. Encore un mensonge pur et simple.

  • En résumé, aux États-Unis, la rougeole est en constante augmentation depuis les vaccinations.

C'est à se demander comment la rougeole a été déclarée éliminée de la zone OMS des Amériques au début des années 2000...

  • Et un constat alarmant a été publié en 1995 par les laboratoires SmithKline Beecham, pourtant fabricants de vaccins : « Les rougeoles ont été 18 fois plus nombreuses aux USA en 1990 (27 672 cas) qu’en 1983, malgré une vaccination systématique contre la maladie depuis 1978. »

Oh le beau petit mensonge épidémiologique (PME2)... En résumé, ce constat n'était en rien le signe de l'inefficacité ou de l'inutilité du vaccin contre la rougeole. Que du contraire, même si cela semble contre intuitif à première vue.

  • Et en 2006, les CDC (Centers for Desease Control and Prevention) signalaient que 89 % des enfants d’âge scolaire qui avaient contracté la rougeole étaient vaccinés.

Oh ben ça alors, mais c'est peut-être parce que la majorité des enfants en âge scolaire sont vaccinés (PME4)...

  • En 1986, au Canada, le nombre de cas de rougeole était sept fois plus élevé qu’en 1985.

Oh comparer l'incidence entre 1985 et 1986 au Canada pour argumenter de l'inutilité du vaccin, comme c'est pertinent... j'applaudirais des deux mains si ces dernières n'étaient pas déjà prises par un double face palm...

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  • La Suède a abandonné ce vaccin dès 1970 et l’Allemagne dès 1975.

Ha ben ca alors... de plus en plus fort... La Suède et l'allemagne auraient abandonné le vaccin? C'est pas ce que dit la banque mondiale :

Data from World Bank
  • La France incrimine paradoxalement le faible taux de couverture vaccinale, alors qu’elle atteint pourtant en moyenne plus de 95 %, et des chiffres alarmistes sont avancés pour pousser les gens, y compris les adultes, à se faire vacciner.

Incrimine de quoi ? Je suppose qu'il sagit de l'épidémie de rougeole en France qui a débuté en 2008 et qui est bien due à un défaut de couverture vaccinale, en particulier en ce qui concerne la seconde dose. D'ailleurs la vaccination est loin d'atteindre en moyenne 95% pour la rougeole (voire figure ci-dessus pour la première dose et ici pour l'état de la vaccination en France).

Finalement pour être un bon anti-vaccin bien comme il faut, le mieux est de ne choisir:
ni entre la peste et le choléra,
ni entre l' "inefficacité" et la "dangerosité
" des vaccins,
ni même entre les sophismes et les mensonges purs et simples.

Rédigé par Julie

Publié dans #debunking

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