Coqueluche: évolution de l'épidémiologie et des politiques vaccinales

Publié le 10 Mars 2014

Dans ce billet, je vais d'abord parler en détails de l'évolution de l'épidémiologie et de la politique vaccinale aux USA, parce qu'il s'agit du premier pays à avoir introduit le vaccin contre la coqueluche. De façon générale, ils sont aussi dans les premiers à procéder aux modifications de politique vaccinale jugées nécessaires. Ensuite, je parlerai plus brièvement de l'Angelerre/Pays de Galle et de la France.

 

USA

 

En bref

 

La maladie est devenue notifiable au niveau national en 1922 et des vaccins à germes entiers étaient déjà disponibles au cours des années 1920. Néanmoins, la vaccination n'a été véritablement recommandée en routine aux enfants qu'à partir du milieu des années 1940, avec la mise à disposition du premier vaccin à germes entiers combiné avec les vaccinations contre la tétanos et la diphtérie (DTPw, avec P pour pertussis, et w pour whole cell). Avant l'introduction du DTPw, la coqueluche était donc une maladie infantile très répandue. Presque tous les enfants étaient amenés à la contracter. Comme expliqué dans un billet précédent, le nombre moyen de cas annuel était alors de l'ordre du nombre moyen de naissances annuels, à savoir, 2 à 3 millions. Néanmoins, à cause de la sous-notification, le nombre de cas déclarés était bien inférieur: 175 000 cas en moyenne par an entre 1940 et 1945.

 

Suite à l'introduction du DTPw, l'incidence de la coqueluche a progressivement diminué pour atteindre un minimum de 1010 cas notifiés en 1976. Mais depuis le début des années 80, le nombre de cas rapportés augmente progressivement, avec un pic à environ 26000 cas en 2004. Un pic similaire a été enregistré en 2010 (27 550 cas et 27 décès rapportés). En 2012, c'est pas moins de 48 000 cas qui ont été notifiés. Cependant, le nombre de cas notifiés reste bien en dessous du nombre de cas enregistrés durant l'ère pré-vaccinale, et plus largement en dessous du nombre de cas attendus en dehors de toute vaccination (de l'ordre de 4 millions).

http://www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/rr5704a1.htm

http://www.cdc.gov/mmwr/preview/mmwrhtml/rr5704a1.htm

Le passage aux vaccins acellulaires

 

Durant les années 1970, des pays comme le Japon et la Suède ont cédé à la controverse infondée concernant la sécurité des vaccins à germes entiers, et arrêté ou freiné l'utilisation de ces vaccins. Le Japon s'est lancé dans l'élaboration de vaccins acellulaires mieux tolérés et les a mis sur le marché très rapidement, en 1981, après des études d'efficacité et de sécurité limitées. Les USA ont attendu des preuves additionnelles d'efficacité et de sécurité, avant de recommander ce nouveau type de vaccin (DtaP, avec a pour acellulaire) à la place des vaccins à germes entiers.

 

Avant 1991, la primo-vaccination des enfants incluait 4 doses de vaccins à germes entiers administrées à 2, 4 et 6 mois et à 12-18 mois. Les trois premières doses pouvaient être légèrement avancées en cas de flambée épidémique (ce qui permet d'adapter les recommandations à l'évolution de l'épidémiologie). Il était également recommandé que les enfants de moins de 7 ans reçoivent un rappel de DTPw (5 ème dose) avant l'entrée à l'école. En 1991, il fut désormais possible de procéder aux quatrième et cinquième doses avec un vaccin acellulaire (DTaP). Cette possibilité a été étendue aux trois premières doses en 1997. Depuis 2002, il n'est plus possible de se procurer de DTPw pédiatrique aux USA.

 

Létalité

 

Le nombre de cas et de décès déclarés permet de déduire la "létalité notifiée" de la maladie. Comme pour la rougeole, la létalité a fortement diminué au cours de la première moitié du 20ème siècle, grâce à l'amélioration des conditions de vie. Elle est passée d'environ 6% au début des années 1920 à moins de 1% dans les années 1950. Depuis lors, elle n'a plus évolué significativement. On peut l'évaluer à environ 0.3% dans les années 80, et à 0.2% entre 1997 et 2000, par exemple.

 

 

La fragilité des nourrissons

 

Avant l'utilisation courante du DTPw, moins de 20% des cas de coqueluche concernaient des nourrissons de moins d'un an, tandis que 50% à 70% des décès étaient enregistrés dans cette tranche d'âge. Si on reprend les notifications d'entre 1940 et 1945 (environ 175000 cas et 2700 décès annuels), cela revient à environ 1600 décès pour moins de 35000 cas chez les moins de 1 an. Les nourrissons portaient donc le fardeau de la coqueluche. Environ 1600 décès annuels par coqueluche déclarés chez les moins de 1 an, pour 2,5 millions de naissances vivantes, cela revient aussi à dire que la coqueluche comptait pour au moins 0.6 points dans la mortalité infantile toutes causes confondues de l'époque qui était de 40/1000. C'est une estimation minimale, car la coqueluche n'était pas forcément indentifiée comme la cause du décès chez les nourrissons, qui ne font pas une coqueluche typique. Aujourd'hui, la mortalité infantile est de 6/1000 aux USA. Renoncer au programme de vaccination contre la coqueluche la ferait remonter d'environ un demi-point, ce qui serait inacceptable.

 

Durant les années 80, les enfants de moins de 1 an comptaient pour 47% des cas et 77% des décès rapportés. En 10 ans, c'est 79 décès qui ont été notifiés, dont 61 chez les moins de 1 an. Sur les 255 décès enregistrés entre 2000 et 2010, 228 concernaient des nourrissons de moins de 6 mois. En 2012, 2000 des 48000 cas déclarés concernaient des nourrissons de moins de 3 mois, 15 d'entre eux sont décédés. Si en proportion, les enfants de moins de 1 an sont plus touchés que durant l'ère prévaccinale, il ne faut pas perdre de vue qu'en absolu, le nombre de décès est bien moindre qu'attendu hors vaccination. Au final, le fardeau de la coqueluche est donc toujours porté par les bébés, qui sont les plus fragiles face à la maladie.

 

L' augmentation des cas depuis les années 1980

 

Une prise de conscience accrue et une amélioration de la reconnaissance de la coqueluche par les professionnels de santé, une utilisation plus courante des diagnostics de laboratoire et une surveillance renforcée de la coqueluche par les départements de santé publique peuvent expliquer en partie l'augmentation observée comme étant une diminution de la sous-notification. Mais une partie de l'augmentation enregistrée reflète une augmentation réelle du nombre de cas, particulièrement chez les adolescents et les adultes. La coqueluche n'est plus une maladie infantile.

 

Au cours de l'année 2004, 34% des 26000 cas déclarés se sont produits chez les ados de 11 à 18 ans, 13% chez les moins de 1 an, 21% chez les enfants de 1 à 10 ans et 29% chez les adultes au delà de 19 ans. L'incidence chez les adolescents et les adultes est d'ailleurs toujours fortement sous-notifiée, puisqu'ils présentent le plus souvent une forme atypique modérée difficile à diagnostiquer. Cette augmentation d'incidence chez les adolescents et les adultes est le résultat de l'affaiblissement de leur immunité (qu'elle soit post-vaccinale ou post-maladie) après 5 à 10 ans, car ils ne bénéficient plus des rappels naturels fréquents qui se produisaient dans une population non vaccinée. Paradoxalement, la diminution massive de la circulation de la bactérie chez les enfants obtenue avant les années 1980 est la cause de l'augmentation de sa circulation par la suite chez les adolescents et les adultes. Parmi les maladies pour lesquelles la vaccination universelle des enfants a été recommandée, la coqueluche est la moins bien contrôlée des maladies bactériennes notifiables aux USA.

 

Si avant le DTPw, la circulation de la bactérie chez les enfants était le risque principal pour les nourrissons, le risque, bien que moindre, vient désormais de la circulation de la bactérie chez les adolescents et les adultes à l'immunité déclinante, qui constituent un réservoir majeur pour la transmission de la coqueluche. Cette constatation a mené à plusieurs révisions des politiques vaccinales, visant les adolescents et les adultes, en vue de réduire la charge de la maladie dans la population en général et de protéger les nourrissons en particulier, car ils ne sont pas entièrement protégés par leur propre vaccination avant leur troisième dose à l'âge de  6 mois. 

 

Modifications de la politique vaccinale

 

Ces modifications de politique vaccinale ont également été rendues possibles par la mise sur le marché en 2005 de vaccins acellulaires destinés aux adolescents et aux adultes (Tdap, où le d et le p minuscules indiquent des dosages moindres adaptés aux rappels chez les ados et les adultes). En effet, avant cela, étant donné que la maladie est moins grave chez les ados et les adultes, et parce que le vaccin à germes entiers était moins bien toléré, la vaccination contre la coqueluche n'était pas recommandée pour les enfants au delà de 7 ans ni pour les adultes.

 

A partir de 2005-2006, il a d'abord été recommandé aux adolescents entre 11 et 18 ans de recevoir un rappel supplémentaire (de préférence entre 11 et 12 ans) avec un Tdap. Les adolescents qui avaient déjà reçu un Td devaient attendre 5 ans pour effectuer un Tdap, mais ce délai pouvait être raccourci en cas de flambées épidémiques ou si l'adolescent était ou allait être mis en contact avec un nouveau-né. Par ailleurs, pour les adolescentes qui venaient d'accoucher et qui n'avaient pas encore reçu de Tdap, une dose de Tdap était dès lors recommandée au plus tôt (avant de quitter la maternité idéalement), même si elles allaitaient. Pour les personnes âgées de plus de 18 ans en 2006, un rattrapage avec une dose de Tdap a également été recommandé, et ce particulièrement en cas de contact avec un nouveau né, conformément à la stratégie de "cocooning".

 

Cette stratégie, qui est toujours d'application, consiste à encourager toutes les personnes amenées à prendre soin d'un nouveau-né (parents, grand-parents, frères et soeurs, gardiens, ...) à se faire vacciner contre la coqueluche. Idéalement, la vaccination doit être réalisée avant la naissance de l'enfant, car l'immunité met une à deux semaines à se développer. Mais en 2006, il n'était pas encore recommandé de vacciner les femmes enceintes. Une fois la sécurité de la pratique établie, il a été finalement recommandé de vacciner les futures mamans au cours de leur grossesse, pour améliorer le cocooning. D'abord, en juin 2011, pour les femmes dont le dernier rappel datait de plus de 10 ans. La recommandation été élargie en octobre 2012 à toutes les femmes enceintes, indépendamment de leur statut vaccinal antérieur.

 

La vaccination au cours de la grossesse a aussi l'avantage de protéger le nourrisson par un autre biais : l'immunité passive. Le meilleur moment pour vacciner est entre la 27ème et la 36ème semaine de grossesse, pour permettre un transfert optimal des anticorps maternel vers l'enfant via le placenta. Si la vaccination n'a pas été effectuée durant la grossesse, il est bien sûr toujours utile de la réaliser au plus tôt après la naissance. La vaccination est d'ailleurs totalement compatible avec l'allaitement. L'allaitement contribue également au transfert d'anticorps maternels produits en réponse à une vaccination récente (au cours de la grossesse ou en post-partum) vers l'enfant, réduisant le risque pour celui-ci de tomber malade.

 

Angleterre - Pays de Galle

 

La vaccination à germes entiers a été introduite dans les années 1950. En 1972, alors que la couverture vaccinale excédait 80%, il n'y a eu que 2069 cas de coqueluche notifiés. Peu après, et bien que les recommandations des autorités de santé n'aient pas été modifiées, la population a réagi aux controverses sur la sécurité de la vaccination. La couverture vaccinale est tombée à 30% en 1975, menant à un retour en force de la coqueluche à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Par la suite, la couverture vaccinale est remontée à plus de 90% au cours des années 1990, menant à une nouvelle décroissance de l'incidence de la maladie.

 

Comme aux USA, les nourrissons restent une population à risque. Sur les 39 décès enregistrés au cours de la période 2002-2009, 36 concernaient des nourrissons dont 29 étaient âgés de moins de 3 mois. En 2001, les autorités ont ajouté au calendrier vaccinal un rappel entre 3 et 5 ans, avant l'entrée à l'école, dans le but de réduire la transmission de la maladie dans les groupes d'âges supérieurs, pour enfin réduire le risque de transmission aux nourrissons. Cette mesure s'est accompagnée d'une réduction des cas chez les moins de 10 ans et ches les nourrissons.

 

L'Angletterre est passée des vaccins à germes entiers aux vaccins acellulaires en 2001 en ce qui concerne les rappels, et en 2004 pour les primovaccinations. La vaccination des femmes enceintes a été introduite en 2012, dans le cadre d'un programme temporaire.

http://wwwnc.cdc.gov/eid/article/18/1/11-0784-f1.htm

http://wwwnc.cdc.gov/eid/article/18/1/11-0784-f1.htm

France

 

La vaccination a été introduite en 1959 et son utilisation ne s'est généralisée qu'à partir de 1966 avec la mise sur le marché combinant les vaccins contre la diphtérie, le tétanos, le coqueluche et la polio. L'incidence a chuté et la mortalité avec dans son sillage. Néanmoins, en France comme ailleurs, la coqueluche reste un problème pour les nourrissons. Il s'agit de la première cause de décès par infection bactérienne chez les moins de 3 mois. L'augmentation de la circulation de la bactérie chez les ados et adultes qui contaminent ensuite les nourrissons est constatée depuis les années 1990 en France. Depuis 1998, un rappel pour les 11-13 ans a donc été ajouté au calendrier vaccinal. En 2004, la vaccination des (futurs) jeunes parents, et donc la stratégie du cocooning, a été adoptée. La vaccination des futures mamans pendant la grossesse n'est pas comprise dans la stratégie de cocooning française.

 

Le calendrier vaccinal français révisé en 2013 prévoit:

  • une primo-vaccination des nourrissons en trois doses à 2, 4 et 11 mois (en remplacement de l'ancien schéma à 4 doses données à 2, 3, 4 et 16-18 mois),

  • un rappel à 6 ans (nouveau),

  • un rappel à 11-13 ans,

  • un rappel à 25 ans,

  • + la stratégie cocooning.

La France utlise aujourd'hui des vaccins acellaires.

 

Depuis 1986, la coqueluche n'est plus une maladie à déclaration obligatoire. C'est un réseau hospitalier (Renacoq) constitué en 1996 qui surveille les coqueluches pédiatriques vues à l'hôpital.

Coqueluche: évolution de l'épidémiologie et des politiques vaccinales
Coqueluche: évolution de l'épidémiologie et des politiques vaccinales
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Suggestions de lecture:

- Sur la modification de la politique vaccinale en Belgique, le blog Vaccines Today.

- L'Australie applique aussi la vaccination des femmes enceintes

- Grossesse et vaccination

 

Rédigé par Julie

Publié dans #Coqueluche

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